La goutte et l’océan

Une initiation au soufisme et son puissant rituel la Sema

L’amour est un océan infini, dont les cieux ne sont qu’un flocon d’écume. 
Sache que ce sont les vagues de l’Amour, qui font tourner la roue des cieux.

Djalāl ad-Dīn Rûmî, Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique

Vous ne vous en souvenez certainement pas mais nous avons axé notre voyage autour de quatre thématiques
Nous ne le savions pas en arrivant à Guzelgah mais cette expérience nous a ouvert les portes encore inconnues du soufisme et de son principal rituel : la Sema !
Je ne pensais pas il y a encore quelques mois chanter en boucle "Allah, Allah, Allah" dans une sorte de transe générale avec une centaine de personnes venant du monde entier ! Je tente de vous partager au travers de ces mots ce que nous avons compris, senti et expérimenté autour du soufisme pendant notre séjour en Turquie.


Alors, qu’est-ce que le Soufisme ?

Loin d’une définition exacte de ce qu’est le soufisme, je vous partage ses racines et surtout ce que nous avons pu vivre et partager avec nos amis turques et iraniens notamment.

Le soufisme est la voie mystique de l’Islam.  Plus qu’une religion, le soufisme est une porte vers un chemin spirituel pour se connecter à l’amour universel.

Le soufisme peut également être vu comme un art de vivre, une manière d’appréhender la vie avec humilité et acceptation de ce que l’on vit. Une philosophie pour créer et développer des relations humaines de qualité basées sur l’écoute, le don et l’hospitalité, cœur de la culture orientale.

Rûmî, père fondateur du Soufisme 
Rûmî (Djalāl ad-Dīn Muḥammad Balkhi) : né à Balkh (actuel Afghanistan) le 30 septembre 1207 et mort à Konya le 17 décembre 1273, est un poète, théologien et mystique persan qui a profondément bousculé le soufisme. 

Selon Rûmî, la voie de l'Amour est une voie de connaissance de soi et de purification intérieure. 

Voici quelques extraits des poèmes écrits par Rûmî qui nous éclaire sur sa philosophie : 
Tu es la goutte et l'océan
Mon cœur porte ta marque,
Il n'erre pas ailleurs.
Sans les autres, tout va.
Sans toi, rien ne va plus.


Toi mon vin, mon ivresse,
Mon jardin, mon printemps
Mon sommeil, mon repos,
Sans toi, rien ne va plus.

Djalāl ad-Dīn Rûmî, Amour, ta blessure dans mes veines

Je t’aime ni avec mon cœur, ni avec mon esprit
Le cœur peut s’arrêter, l’esprit peut oublier
Je t’aime avec mon âme
L’Âme jamais ne s’arrête ni n’oublie…

Djalāl ad-Dīn Rûmî, Le livre de Chams de Tabriz

L’amour est un océan infini, dont les cieux ne sont qu’un flocon d’écume.  Sache que ce sont les vagues de l’Amour, qui font tourner la roue des cieux.

Djalāl ad-Dīn Rûmî, Soleil du réel : Poèmes d'amour mystique

Ta tâche n'est pas de chercher l'amour, 
mais simplement de chercher et trouver 
tous les obstacles que tu as construits contre l'amour.

Djalāl ad-Dīn Rûmî, Le livre du dedans : Fîhi-mâ-fîhi

Sans Amour le monde serait inanimé. 
- Chaque atome est épris de cette perfection 
- Et se hâte vers elle. 
- A chaque instant retentit de tous côtés l’appel de l’amour.

Djalāl ad-Dīn Rûmî

Je n'appartiens à aucune religion.
Ma religion est l'amour.
Chaque cœur est mon temple.
La blessure est l’endroit où la lumière entre en vous.

Djalāl ad-Dīn Rûmî

La dernière nuit avant sa mort, Mevlâna (le Maitre, c’est-à-dire Rûmî) s'adressait ainsi à son fils qui le veillait et ne le quittait pas un instant : « Va, repose-toi, laisse-moi seul, laisse cet infortuné, ce corps effondré. Moi je vais passer la nuit, bercé par les vagues de l'amour... ».
Pour Mevlâna, la mort était une renaissance, la suprême rencontre, l'étreinte amoureuse. Dès lors, chaque année, les pratiquants se retrouvent la semaine du 17 décembre pour célébrer l’anniversaire de la mort de Rûmî, sa nuit de noces.

Au-delà des meshk du jeudi soir à Guzelgah (soirée musique dans la yourte dédiée autour des poèmes farcis et de la musique traditionnelle), nous avons eu l’occasion de vivre deux expériences inédites et puissantes que nous allons détailler ci-dessous : le festival international des Derviches tourneurs et 3 jours et 3 nuits de Sema. 

Konya et la nuit de noces de Rumi

Quelques semaines après notre arrivée, Güvenç et Ezgi nous informent qu’ils vont à Konya (ville natale de Guvenç) à l’occasion des cérémonies en l'honneur de la nuit de noces qui a lieu chaque année à l’occasion de la mort de Rûmî. Ils nous proposent de se joindre à eux si nous voulons également vivre l’aventure. Curieux de vivre une nouvelle expérience, nous acceptons avec grand plaisir, l’occasion également de découvrir le centre de la Turquie. Après une journée du bus nous voici plongés dans l’ambiance hivernale du plateau d’Anatolie, au cœur du grand bazar de Konya où chaque échoppe est ultra spécialisée et où l’on peut tout trouver : de l’outil agricole aux épices, fruits secs, café, thé, fringues, chaussures et gourmandises au miel en passant par le çaï, le salep, et les chorbas (soupe turque). Un régal pour nos papilles ! 

Nous sommes tous les quatre dans un hôtel au cœur de la vieille ville, en face du Musée où se trouve le tombeau de Mevlana. 

Nous ne savons absolument pas à quoi nous attendre. Voici ce que nous avons découvert au travers deux facettes du soufisme bien différentes ! 

Le « In », le festival officiel avec ses derviches tourneurs

Le festival des derviches tourneurs proposent des cérémonies religieuses menées par le Cheïk (chei), représentant du soufisme. Nous découvrons ce rituel puissant et ancestral, où musique, chant et danse enivrent les pratiquants pour une élévation de l’âme. Cette cérémonie, uniquement masculine, respecte un protocole mis en place depuis plusieurs siècles. 

Pendant que nous assistons avec respect et curiosité à l’une de ces danses, nous y rencontrons Fatma « spiritual teatcher », qui a une révélation en me voyant. Elle se met à pleurer et pense que nous avons une vie passée spirituelle ensemble ! 

Dès lors, elle nous prend sous son aile et fait des pieds et des mains pour nous obtenir un entretien en tête à tête avec le grand maître spirituel. Nous aurons l’occasion de le rencontrer pendant 15 minutes où il nous partage les fondements de la philosophie soufi basée sur l’ouverture du cœur via des protocoles orthodoxes (chant, musique, danse, état de conscience modifiée). Cette rencontre nous ouvre des portes vers une pratique religieuse du soufisme où les femmes sont toutes voilées, les hommes et les femmes sont séparés pour le dîner et où l’on vit la religion de manière traditionnelle. 

Le « off », rassemblement libéré autour de l’amour universel

En parallèle de ces cérémonies officielles, plusieurs lieux dans la ville proposent de vivre la Sema (cérémonie des derviches) de manière bien plus libérée. La musique et les poèmes perses chantés sont toujours le socle de ces rassemblements qui invite le public à se recueillir, méditer, prier pour s’élever spirituellement. Bien que cette pratique soit issue de l’Islam, tout le monde est le bienvenu quel que soit son appartenance religieuse. Nous découvrons un monde néo hippie, rempli d’amour, d’écoute, de bienveillance, d’embrassade, de pétillement dans les yeux et de douceur dans les mots. Les rituels commencent en soirée et durent toute la nuit. Nous ne resterons pas jusqu’au petit matin avec nos deux loulous mais pouvons voir, ressentir, les prémices d’une transe générale… Impressionnant… 

Le Sema, 3 jours et 3 nuits d’élévation

De retour de Konya, Ezgy & Guvenç, nos hôtes, accompagnés de Medhi et Alleleh (leur amis iraniens chanteurs et musiciens), décident d’organiser leur propre Sema, 3 jours et 3 nuits de cérémonie. Nous clôturerons notre séjour chez eux par cette expérience inoubliable. 

Loin de la foule de Konya, nous nous retrouvons fin janvier à une petite centaine de personnes dans un hôtel composé de petits bungalows au milieu de la nature. Le propriétaire a mis à disposition son établissement pour la Sema et fonctionne sur le principe de la « donation box ». 

Après une cérémonie d’ouverture rappelant les grands principes de la Sema nous voici plongés dans trois jours et trois nuits inoubliables, à vivre l’expérience par nous-même. 

Une vingtaine de musiciens aussi doués les uns que les autres se relaient non stop aux sons des saz, des bendhirs, de la sitar et des voix féminines ou masculines profondes et mélodieuses. 
Les participants quant à eux sont invités, quand ils le souhaitent, au rythme où ils le souhaitent, à entrer dans le cercle de la danse pour tourner sur soi-même. Le pied gauche est la base et l’alignement, le pied droit tourne autour, une main vers le ciel et une main vers la terre. Nous avons expérimenté cette danse, ce tourbillon de folie, ou la perte de repères va de pair avec un profond centrage pour rester droit, aligné, ne pas tomber. 
Heureux d’avoir vécu cette expérience profonde et bouleversante pour le corps et le cœur, nous ne pouvons que vous la recommander !!! 



Et pour aller plus loin, un regard sur la sémantique autour d’Allah

Curieuse d’être éclairée par la signification de trois expressions régulièrement employées par toutes les personnes que nous avons rencontrées, j’ai eu un entretien avec Andrea Azize Güvenç, maîtresse de cérémonie de la Sema. Je vous partage ses propos qui permettent d’éclairer la manière d’appréhender le regard sur Dieu, sur la Vie de certaines personnes.

Inshallah 
Si cela doit être sur mon chemin
Si Allah l’a écrit : la volonté de Dieu
Ce qui est bon pour nous 

Eyvallah
Une affirmation où l’on accepte ce qui arrive. ok, let’s go, let’s see…

Mashallah
Une protection, un good-luck, il y a toujours une signification derrière. C’est l’expression d’une émotion, de la beauté. Cette expression protège l’ego et permet de rester conscient, d’avoir une juste tolérance au divin.

Et Allah dans tout ça !
Allah est le plus grand 
Allah signifie « rien », la signification est dans ce que nous lui donnons
Est-ce que nous croyons qu’il y a quelque chose, quelqu’un de plus grand que nous ?
Il n’y a Rien

Il y a uniquement Allah
Mais Allah n’est pas Dieu
Allah est très abstrait 
La place du divin est dans notre cœur, là, nous pouvons voir le visage du divin

« J’étais un trésor sacré, je voulais être reconnu, c’est pour cela que j’ai créé le monde »
Nous ne connaissons pas la source 
L’Amour est le plus élevé
L’Amour est partage
Pour clôturer cet article, voici une histoire qu’Azize m’a partagée qui me parle et nous rappelle l’importance des vibrations, de l’énergie et de la musique de la vie !
« L’âme n’arrivait pas à rentrer dans le corps. Avec la flûte, l’âme a eu le courage de pénétrer dans le corps. L’âme est la mélodie du divin »;bn

Comments