De l’exposition de Banksy à Marseille en 2022, au passage des équipes de SOS Méditerranée à Make it il y a quelques années ; du suivi de la réalisation du Navire Avenir - premier navire européen conçu pour le sauvetage en mer auquel participent certains copains marseillais, à la visite de l’Ocean Viking l’été dernier à Syracuse, navire de sauvetage de l’ONG SOS Humanity, la question des réfugiés nous touche, nous interpelle et nous questionne depuis plusieurs années maintenant.
Pourquoi des humains ne sont-ils pas accueillis sur nos territoires alors que leur pays est en guerre ?
Pourquoi ne met-on pas en place des moyens de sauvetage en mer à l’échelle européenne à nos frontières ?
Pourquoi des centaines de réfugiés meurent-ils chaque année sur les eaux de Méditerranée ?
Alors que nous allons naviguer librement ce printemps dans le Dodécanèse, face à la Turquie, toutes ces îles ont vu naître depuis plusieurs années des camps de réfugiés pour proposer un logement d’accueil d’urgence. Ceux-ci ressemblent aujourd’hui davantage à une prison qu’autre chose : doubles barbelés, interdiction de rentrer sans passe, autorisation de sortie avec retour avant la nuit. Et surtout, beaucoup d’insalubrité : un seul repas par jour, pas d’eau dans les toilettes, punaises de lit…
Ces espaces d’accueil et de vie sont peu acceptables et questionnent ce que nous, européens, mettons en place pour traiter avec dignité et humanité la question de la migration au 21ème siècle.
Grace à notre séjour en Turquie, nous avons pu ressentir et comprendre la chance que nous avons de pouvoir nous déplacer et voyager en toute liberté. Si peu d’espaces nous sont inaccessibles. Le monde nous est ouvert à nous, européens. Et nos frontières sont des murs presque infranchissables.
Nous avons voulu voir de plus près et mieux comprendre les enjeux de la migration. Vivre et donner un peu de notre temps pour une cause qui nous semble injuste. Mais la question demeure complexe…
Une immersion d’un mois chez Glocal Roots : Community Center dans le centre-ville de Kos
Après plusieurs tentatives d’être bénévoles au sein d’associations œuvrant pour les réfugiés - pas si simple d’accueillir et intégrer une famille et ses enfants dans un projet - l’ONG Glocal Roots nous accepte pour être volontaires en famille dans le community Center de l’île de Kos.
Kos est séparée d’une bande de mer de 5km de Bodrum, station balnéaire turque, et voit affluer des milliers de migrants chaque année. En février 2024, le camp de Kos comptait 3800 réfugiés, peut-être deux fois plus sur l’île, pour une population de 36000 habitants.
Glocal Roots est une ONG suisse avec une antenne à Athènes et une autre à Kos. Sa volonté : proposer des réseaux et des structures permettant aux personnes en déplacement d’être mieux intégrées dans le pays d’accueil. Favoriser leur insertion en proposant un espace d’accueil, de l’aide alimentaire, des cours de langue, un point de relai avec les organismes officiels pour les papiers et des relations avec les entreprises locales pour trouver un job. Le community center de Kos situé en plein centre-ville, dans une rue adjacente au port, est un espace d’environ 100m2 avec un petit espace extérieur.
Nous débarquons donc à Kos, accueillis par les équipes fixes de l’ONG : Léa, française, ce qui est une bonne surprise pour les enfants bien qu’ils commencent à bien communiquer en anglais, et Sarah, catalane, entourées d’une équipe de migrants bénévoles.
Nous participons de manière simple à la vie de l’asso : préparer le café et le thé offert chaque jour aux migrants, faire le réassort de la boutique en vidant les palettes, en répartissant les sacs de 50kg de riz en 50 sacs de 1 kg, en allant chercher les invendus dans les boulangeries, en ré-agençant les espaces de stockage et de cuisine pour une meilleure ergonomie...
Et puis, et surtout, nous accueillons, nous rentrons en contact comme nous le pouvons avec ces personnes qui recherchent un espace ouvert, bienveillant où elles se sentent en sécurité, pas jugées. Peu de personnes parlent anglais, les sourires, quelques mots et notre ami google traduction nous permettent d’avoir un peu plus d’échange. Et nos enfants naviguent au milieu de toutes ces personnes (jeunes hommes en grande majorité) avec leur insouciance. Ils proposent des parties de backgammon, ou encore sortent des perles pour se faire des colliers et autres bracelets : 10 minutes plus tard, tous les réfugiés présents ce jour-là s’y mettent à leur tour, oubliant leurs soucis pour un temps.
Commencer à mieux comprendre la Vie de migrant
La Vie d’un migrant est ponctuée de moments d’extrême intensité : traverser une mer à la nage quand la distance laisse l’espérer, en canot pneumatique prévu pour 10, à 100 personnes, courir ou fuir le long d’une frontière... Des migrants nous ont relaté avoir tenté 10 fois de traverser entre Bodrum et Kos. A la nage d’abord, en se faisant repêcher par les garde-côtes grecs puis renvoyés en Turquie pour y purger une peine de prison. Les témoignages de push back sont courants, avec violence et vols de tous effets personnels. Puis, tentatives en bateau pneumatiques (1500€ par personne), pour se faire de nouveau attraper, violenter puis renvoyer. Le Yéménite rencontré avait finalement réussi à atteindre Kos en utilisant les services d’un speedboat (5000€ par personne) permettant d’atteindre les côtes grecques plus rapidement que ne le peuvent les garde-côtes.
Et puis, la Vie d’un migrant est aussi celle d’attente longue, attente d’avoir des nouvelles de sa famille ou amis restés au pays en guerre, ou, pire, de ne plus réussir à avoir de nouvelles.
Nous trouvions que parfois nous n’avions pas grand-chose à faire à Glocal Roots mais à la réflexion, en toute modestie et à notre micro échelle, nous avons partagé quelque peu ce temps long que vivent les réfugiés arrivés en pays relativement « ami ». Un film documentaire nous a grandement aidés dans cette compréhension : Midnight traveler, réalisé par un couple de vidéastes afghans dont la tête a été mise à prix ayant décidé de fuir, et de filmer cette fuite, pour atteindre l’Allemagne... trois ans plus tard.
Cette Vie est encore l’attente de recevoir une réponse à sa demande de papiers pour pouvoir continuer son périple. Car les pays européens se sont entendus pour que la gestion des demandes d’asile soit gérée par les pays recueillant les migrants, soit les pays frontaliers, en échange d’aide financière et logistique. Alors, Espagne, Italie, Grèce, déjà dans des situations économiques pas très vaillantes, débrouillez-vous pour gérer ! Et plus encore, nous incitons dorénavant les pays « émetteurs » pour qu’ils empêchent les migrants de quitter leur pays.
Alors quelle place offrir à ces personnes qui fuient leur pays ? Comment les accueillir dignement ? Avons-nous suffisamment de richesses dans nos pays pour la partager avec ces personnes ? Vont-elles menacer nos emplois alors que le taux de chômage des pays européens ne cesse d’augmenter ? Et si l’Europe ouvrait « les vannes », cela créerait-il un afflux majeur de migrants ?
Question complexe.
Nous ne prétendons pas y répondre ici mais seulement y apporter modestes réflexions.
A croire les résultats des dernières élections européennes, une partie grandissante d’entre nous ne souhaite pas que l’Europe soit une terre d’accueil. Nous nous appauvrissons déjà tellement alors hors de question de partager quoi que ce soit avec ces étrangers qui vont nous prendre nos emplois, menacer nos religions et nos croyances.
Mais, avec un accompagnement adéquat, est-ce qu’une partie des emplois vacants ne pourrait-elle pas être comblée par ces nouveaux travailleurs ? Kos, île dont l’activité économique est essentiellement tirée par le tourisme, n’hésite plus à embaucher les migrants sur les chantiers et autres hôtels ou restaurants que nous peuplons pendant nos vacances.
Est-ce que cet étranger que certains diabolisent, ne serait pas la mauvaise cible à prendre au lieu de se questionner sur un système en peine, qui polarise de plus en plus notre société ? L’Europe ne s’est-elle pas construite de la richesse des peuples, et de leur culture, qui y sont passés ?
Le monde à l’envers
Après notre dîner d’au revoir avec l’équipe et les réfugiés volontaires, nous sortons dehors pour commencer à charger la voiture de nos bagages : trois réfugiés étaient là en train de partager du pain et pâté de volaille. Ils insistent pour nous en offrir. A se demander qui est le plus accueillant. Le monde à l’envers.
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